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Spinoza - Lettre I (bilingue)

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Lettres - Spinoza (bilingue)


EPISTOLA I.

ARG. Spinozae scientia et humanitate laudata Oldenburgius mentionem facit colloquii Rhenoburgi de Deo, de extensione al. habiti, super quibus rebus ut fusius exponat philosophum enixe rogat.

Clarissimo viro B. D. S.

HENRICUS OLDENBURGIUS.

CLARISSIME DOMINE, AMICE COLENDE,

Tam aegre nuper, cum tibi in secessu tuo Rhenoburgi adessem, a latere tuo divellebar, ut quam primum in Angliam factus sum redux, tecum rursus uniri, quantum fieri potest, commercio saltem epistolico annitar. Rerum solidarum scientia, coniuncta cum humanitate et morum elegantia (quibus omnibus natura et industria amplissime te locupletarunt) eas habent in semet ipsis illecebras, ut viros quosvis ingenuos et liberaliter educatos in sui amorem rapiant. Age itaque, vir praestantissime, amicitiae non fucatae dextras iungamus, eamque omni studiorum et officiorum genere sedulo colamus. Quod quidem a tenuitate mea proficisci potest, tuum iudica. Quas tu possides ingenii dotes, earum partem, cum sine tuo id fieri detrimento possit, me mihi vindicare sinas.

2. Habebamus Rhenoburgi sermonem de Deo, de extensione et cogitatione infinita, de horum attributorum discrimine et convenientia, de ratione unionis animae humanae cum corpore; porro de principiis philosophiae Cartesianae et Baconianae. 3. Verum cum quasi per transennam et in transcursu duntaxat de tanti momenti argumentis tunc loqueremur, atque interim ista omnia menti meae crucem figant, ex amicitiae inter nos initae iure tecum agere nunc aggrediar, ac peramanter rogare, ut circa subiecta praememorata tuos conceptus nonnihil fusius mihi exponere, imprimis vero in hisce duobus me edocere non graveris, videlicet, primo, qua in re extensionis et cogitationis verum discrimen ponas; secundo, quos in Cartesii et Baconis philosophia defectus observes, quaque ratione eos e medio tolli ac solidiora substitui posse iudices. Quo liberalius de hisce et similibus ad me scripseris, eo arctius me tibi devincies et ad paria, si modo possim, praestanda vehementer obstringes.

4. Sub prelo hic iam sudant exercitationes quaedam physiologicae a nobili quodam Anglo, egregiae eruditionis viro, perscriptae. Tractant illae de aeris indole et proprietate elastica, quadraginta tribus experimentis comprobata, de fluiditate item et firmitudine et similibus. Quam primum excusae fuerint, curabo, ut per amicum, mare fortassis traiicientem, tibi exhibeantur. Tu interim longum vale et amici tui memor vive, qui est

Londini d. 16/26 August. 1661.

tuus omni affectu et studio

HENRICUS OLDENBURG.

LETTRE I. (Opera Posthuma : I ; C.A. : I)



À MONSIEUR B. DE SPINOZA,

HENRI OLDENBURG 1.


MONSIEUR ET RESPECTABLE AMI,


Il m’a été si pénible de me séparer de vous après mon séjour récent dans votre retraite de Rheinburg, qu’aussitôt revenu en Angleterre je n’ai pas de plus vif désir que celui de m’unir à vous ; et ne pouvant vous voir, je vous écris. La science des choses sérieuses, unie à la douceur et à la politesse des mœurs (toutes ces qualités précieuses que la nature et l’art vous ont prodiguées), a en elle tant d’attraits qu’elle se fait aimer de tout honnête homme qui a reçu une éducation libérale. Permettez donc, Monsieur, que je m’unisse à vous d’une amitié sincère, et que nous la cultivions soigneusement par des études communes et toute espèce de bons offices. Le peu que ma faiblesse pourra produire est à vous. Souffrez que je m’approprie à mon tour, du moins en partie, les dons si rares de votre esprit, le pouvant faire sans vous causer aucun dommage.

Les objets de notre entretien à Rheinburg, c’étaient, vous le savez, Dieu, l’étendue et la pensée, la distinction et la convenance de ces deux attributs, l’explication de l’union de l’âme humaine avec le corps, enfin, les principes de la philosophie de Descartes et de Bacon. Mais comme nous ne parlions guère qu’en courant de ces graves matières et que tous ces problèmes viennent par moments mettre mon esprit à la torture, j’userai avec vous des droits de l’amitié et vous prierai le plus affectueusement du monde de m’exposer avec quelque étendue vos pensées sur les sujets que je rappelais tout à l’heure. Il y a surtout deux points sur lesquels je voudrais être éclairé, si toutefois cela vous agrée : je désirerais savoir, d’abord, en quoi consiste véritablement la différence que vous établissez entre l’étendue et la pensée ; puis quels sont les défauts que vous remarquez dans la philosophie de Descartes et de Bacon, et pourquoi vous pensez qu’on la peut renverser et y substituer quelque chose de mieux. Croyez, Monsieur, que plus vous mettrez de libéralité à m’éclairer sur ces questions et autres semblables, plus vous m’attacherez étroitement à vous et me mettrez dans une stricte obligation de vous rendre la pareille, si toutefois la chose est possible.

On met sous presse en ce moment des Essais de physiologie composés par un noble Anglais de grande science. Cet ouvrage traite de la nature de l’air et de sa propriété élastique, établie par quarante-trois expériences, de la fluidité, de la solidité et autres choses analogues. Dès que l’ouvrage sera imprimé, j’aurai soin de vous le faire tenir par quelque ami qui passera la mer. En attendant, conservez bonne santé et n’oubliez pas votre ami qui se dit,

Avec zèle et de tout son cœur,

Tout à vous,


HENRI OLDENBURG.

Londres, 10-26 août 1661.